La particularité de l'existence humaine

La particularité de l'existence et l'expérience de l'être humain


(photo wikipédia: Arbre de vie entouré de deux panthères tenant une corne d'abondance )

Dans ce blogue nous allons revenir un peu en arrière et reprendre quelques considérations de l'humanisme universaliste et de la phénoménologie psychologique. L'humanisme universaliste s'intéresse entre autre chose à la particularité de l'existence de la vie humaine tandis que la phénoménologie psychologique s'intéresse plus précisément au registre et à l'intentionnalité de la conscience. Notons qu'il est important de distinguer la perception et le registre. Tandis que la perception est comprise comme une structuration des sensations effectué par la conscience en se référant à un sens ou à un ensemble de sens. Le terme "registre" constitue l'un des concepts centraux de la phénoménologie psychologique; il s'agit de l'expérience de la sensation produite par des stimuli détectés par des sens externes et - ou internes, en structure avec les souvenirs ou les images (représentations).

Si nous revenons à la posture initiale de l’humanisme universaliste nous constatons que celle-ci n'est pas fondée sur un certain système d’idées, ou de croyances ni sur des générations de la vie humaine. Plutôt l’humanisme universaliste se fonde sur la particularité de la vie humaine, la particularité de l’existence et la particularité du registre personnel du penser, du sentir et de l’agir. C'est pourquoi nous pouvons aussi parler de la perspective de "l'humanisme Universaliste".


Cette posture tout comme la phénoménologie psychologique explique cette caractéristique d’ouverture de l’être humain. Celle-ci nous apprends que les intentions de l'être humain se manifestent à travers l’action corporelle. Par ailleurs, le monde naturel, à la différence du monde humain apparaît sans intention. Par exemple, les insectes, même si elles sont très diversifiées ne construisent pas des navires ou des bicyclettes afin d'explorer et coloniser la planète. Plutôt nous constatons que celles-ci se sont propagées à travers la planète grâce aux moyens de transport développés par les hommes au fil des âges. Même si les chiens et les chats sont de sympathiques animaux de compagnie, ils ne pourront jamais choisir de cuisiner un filet de saumon ou encore un bifteck. Ils ne pourront jamais organiser un dîner d'anniversaire avec quelques amis et afficher des "selfies" sur Instagram.

Même si, les baleines occupent les océans depuis des centaines de milliers d'années, elles n’ont jamais développer des instruments qui, placés devant leurs corps agissent comme une prothèse externe leur permettant de perfectionner leurs sens  - comme l'a fait l'homme avec des lunettes. Malgré leur intelligence, les dauphins n'ont inventé aucun système de télécommunication afin d'augmenter la rapidité des échanges ainsi que la vélocité de leurs déplacements dans les océans. Malgré tout leur savoir-faire, les dauphins n'ont jamais créer des moyens de communication pour diffuser des renseignements sur leur milieu à d'autres situés à des centaines de milliers de kilomètres plus loin — comme l'a fait l'homme avec la découverte du transistor, et plus tard avec l'invention des connexions inter-réseaux qui permis de développer l’Internet.
 

Ainsi, si je m’observe non pas du point de vue physiologique mais du point de vue existentiel, je me trouve placé dans un monde donné que je n’ai ni construit ni choisi.  Je me retrouve devant un monde d'intentions humaines, un monde historique et social et non essentiellement naturel comme chez les animaux et les insectes.

En fait, je me trouve devant des phénomènes qui, à commencer par mon propre corps sont inévitables. 
Ma conscience s’est configuré de façon intersubjective : elle utilise des codes de raisonnement, des modèles émotionnels, des schémas d’action que je registre comme «les miens » mais que je reconnais aussi chez les autres. Ainsi je peux voir que différents phénomènes qui se présentent à moi : 1—J’ai un registre immédiat de mon corps; 2– j’ai aussi des registres des phénomènes extérieurs de mon corps;  3– je constate que certaines opérations sont disponibles pour mon intention immédiate. Le monde se présente à moi non seulement comme un conglomérat d’objets, mais également comme une articulation d’autres être humains contenant un monde de signes produits ou modifiés par les êtres humains. (Silo, 2013, p. 230)

(Photo wikipédia : Des fantassins argentins durant la guerre des Malouines)

La déshumanisation des autres 

Mais nous constatons également que c'est grâce à cette ouverture et à cette liberté entre des situations existentes et grâce à la possibilité de différer des réponses ou encore d’imaginer son avenir qui a permis à quelques hommes à différents moments dans l'histoire humaine, de s’emparer illégitimement du tout social. Autrement dit, ces hommes ont nié la liberté et l’intentionnalité des autres. Ils ont réduit les autres à des instruments de leurs propres intentions.  

  Encore aujourd'hui, nous observons que cette vieille lutte qui consiste à vouloir « naturaliser » les autres qui revient en force dans plusieurs milieux sociaux. En effet, avec l'accélération des moyens de communication et de diffusion nous sommes témoins à tous les jours, de ces tentatives à vouloir "naturaliser" les autres. Par exemple dans l'exercice de la guerre, des conflits, de la persécution et de la pauvreté extrême. Tous ces phénomènes soumettent encore aujourd'hui des certaines de millions de personnes à la violence. Conséquemment, le développement des cultures et des individus est considérablement compromis.  Nous constatons que ces phénomènes perturbent les populations de l'ensemble de la planète. 

Dans la perspective de l'humanisme Universaliste, c’est là que réside l’essence de la discrimination, dont la méthodologie est la violence physique, économique, sexuelle, raciale et religieuse.  Ceux qui ont réduit l’humanité des autres, en voulant les « naturaliser » (sans intentionnalité, ni liberté de choix, ni réponses différées) ont forcément provoqué de nouvelles formes de douleur et de la souffrance en déshumanisant les autres. 



Aujourd'hui, certains penseurs et certains courants de pensées semblent nous dire que toute tentative et action se terminera inévitablement dans l’absurde. Pourtant cette lutte ne se déroule pas entre des forces mécaniques ou entre des systèmes idéologiques. Il ne s’agit pas ici non plus d’un réflexe naturel, mais bien d’une lutte entre des intentions humaines. En fait, il s'agit d'une lutte entre la liberté et l'intentionnalité humaine et cette tentative à vouloir "naturaliser".  

Pour de se sortir de cette situation si difficile, l’humanisme Universalisme propose de s’humaniser en humanisant le monde. S’humaniser c’est affirmer l’intentionnalité de tout être humain et la primauté d’un futur possible et meilleur. Cette position permet la modification du présent qui rend possible tout changement dans le futur.



Mais si nous considérons sérieusement cette position nous devons également réfléchir à ce qui définit l’être humain et s'interroger sur les conditions dans lesquelles nous voulons vivre. Qui suis-je? Ou vais-je? Quelle est mon utilité vitale? Dans quelles conditions je veux vivre?  Si nous souhaitons trouver de nouvelles pistes de réflexion face à nos propres conditions de vie, celles-ci ne devraient pas être à partir de l’interprétation de faits extérieurs produits par l’être humain (comme nous le retrouvons dans les livres d’histoire et d’économie). En fait, pour comprendre la situation dans laquelle nous vivons, nous devons réfléchir à la structure historique qui dote de sens la vie humaine. Mais comment pourrons-nous en savoir un plus sur cette structure historique? Nous pourrons en savoir un peu plus en commençant à réfléchir sur qui nous sommes.



Pour conclure sur ce thème de la particularité de l'existence et l'expérience de l'être humain.. nous vous présentons un texte tiré d'une causerie présenté par Silo. (causerie présenté devant un groupe d’étudiants à Buenos Aires en Argentine en 1981).


(Photo crédit: wikipédia la création de Promothée)
À propos de l’humain

La compréhension du phénomène humain en général est une chose et mon propre registre de l'humanité de l'autre en est une autre, bien différente. Étudions le premier point, c'est-à-dire la compréhension du phénomène humain en général.



Si l'on dit que ce qui caractérise l'humain est la sociabilité, le langage ou la transmission d'expérience, on ne définit pas exactement l'humain car nous trouvons aussi toutes ces manifestations dans le monde animal, bien que développées de façon élémentaire. En effet, dans des organisations comme la ruche, le banc de poissons ou le troupeau, nous observons un mécanisme de reconnaissances mutuelles d'ordre chimiques avec, en conséquence attirances ou rejets. Il existe des organisations hôtes, parasites ou symbiotiques, ou l'on reconnaît sous formes élémentaire, un mode d'organisation que nous retrouvons sous une forme plus évoluée chez certains groupes humains...
  
Nous trouvons également une sorte de « morale » animale ainsi que des sanctions sociales à l'encontre de ceux qui la transgressent, même si, d'un point de vue extérieur, on peut interpréter ces conduites par l'instinct de conservation de l'espèce ou par une imbrication de réflexes conditionnés ou inconditionnels. Les rudiments techniques ne sont pas non plus étrangers au monde animal, pas plus que ne le sont les sentiments d'affection, de haine, de peine et de solidarité entre membres d'un même groupe, entre groupes ou entre espèces.



Alors, qu'est-ce-qui définit l'humain en tant que tel ? Ce qui le définit, c'est sa dimension historico-sociale qui se reflète dans sa mémoire personnelle. Tout animal est toujours le premier animal, mais chaque être humain est son milieu historique et social; de plus, il est réflexion sur le milieu et contribution à la transformation ou à l'inertie de ce milieu. Pour l'animal, le milieu est le milieu naturel. Pour l'être humain, le milieu est le milieu historique et social, la transformation de ce milieu et, bien sûr, l'adaptation de ce qui est naturel aux nécessités immédiates et plus à long terme.



Donner une réponse différée face à un stimulus immédiat, donner un sens, une direction à son action quant à un futur calculé (ou imaginé) est une caractéristique nouvelle de l'être humain par rapport au système « d'idéation », de comportement et de vie des représentants du règne animal. L'amplification de l'horizon temporel de la conscience humaine permet à l'humain ces délais face aux stimuli et de les situer dans un espace mental complexe. Cela le rend capable d'effectuer des délibérations, de comparaisons et d'en tirer des conclusions hors du champ perceptif immédiat.



En d'autres termes, il n'existe pas de "nature" humaine en l'être humain, à moins que cette "nature" ne soit considérée comme une capacité différente de celle de l'animal, de se mouvoir dans des temps au-delà de l'horizon de perception. 

Autrement dit: s'il y a quelque chose de "naturel" dans l'être humain ce n'est pas dans un sens minéral, végétal ou animal : ce qui est naturel en lui est précisément le changement, l'Histoire, la transformation. Cette idée de changement s'accorde mal avec l'idée de "nature" et c'est pourquoi nous préférons ne pas utiliser le mot "nature" tel qu'il a été utilisé jusqu'à présent et qui, de plus, a servi à justifier tant de trahisons envers l'être humain. Par exemple, on a appelé « naturels » ou « aborigènes », les natifs d'un endroit parce qu'ils étaient différents des conquérants venus d'ailleurs. On a ainsi défini un ordre "naturel" et le changer devenait un péché à l'encontre de ce qui était établi de façon définitive. Des races différentes, des sexes différents, des positions sociales différentes étaient établis à l'intérieur d'un ordre supposé naturel et que l'on devait conserver de façon permanente. Pour présenter quelques différences morphologiques ou rudimentaires, des races ont été assimilées à des espèces de nature différente à l'intérieur de l'espèce humaine; et ainsi de suite.
C'est ainsi que l'idée de nature humaine a servi un ordre de production; mais celui-ci s'est fracturé à l'époque de la transformation industrielle. Aujourd'hui, il reste encore des vestiges de l'idéologie zoologique de la nature humaine. Dans la psychologie, par exemple, on parle toujours de certaines facultés naturelles comme la "volonté" et autres semblables. Les idées de droit naturel, d'État comme projection de la nature humaine, etc., n'ont rien apporté d'autre que leur quota d'inertie historique et de négation de la transformation.

Si la coprésence de la conscience humaine travaille grâce à son énorme faculté d'amplification temporelle et si son intentionnalité permet de projeter un sens, l'être humain se caractérise alors par le fait d'être et de faire du sens du monde. Comme l’auteur le dit dans l’ouvrage Humaniser la Terre:



« Toi qui donnes mille noms, toi qui donnes du sens, toi qui transformes le monde... Tes pères et les pères de tes pères se perpétuent en toi. Tu n'es pas un bolide qui tombe mais une brillante flèche qui vole vers les cieux. Tu es le sens du monde et, quand tu éclaircies ton sens, tu illumines la terre. Je te dirai ici quel est le sens de ta vie: humaniser la terre. Qu'est-ce qu'humaniser la terre? C'est dépasser la douleur et la souffrance, c'est apprendre sans limite, c'est aimer la réalité que tu construis..»



Nous sommes donc très loin de l'idée de nature humaine. Nous sommes même à l'opposé. Je veux dire que si le naturel a asphyxié l'humain par un ordre imposé par l'idée de permanence, nous disons maintenant le contraire : le naturel doit être humanisé et cette humanisation du monde fait de l'homme un créateur de sens, direction, de transformation. Si ce sens est libérateur des conditions de douleur et de souffrance supposées "naturelles", est donc véritablement humain c'est ce qui va au delà du naturel; sont véritablement humains ton projet, ton futur, ton enfant, ta brise, ton aurore, ta tempête, ta colère et ta caresse. C'est ta crainte et ton désir d'un futur et d'un nouvel être humain libre de la douleur et de la souffrance qui sont véritablement humains.



Étudions la seconde question: le registre que j'ai de l'humanité des autres.

Tant que je ne percevrai de l'autre que sa présence "naturelle", l'autre ne sera qu'une présence objectale, ou plus précisément animale.

Tant que ma perception de l'horizon temporel de l'autre sera anesthésiée, l'autre n'aura de sens qu'en tant que « pour-moi ». La nature de l'autre sera un « pour-moi ». Mais en construisant l'autre dans un « pour-moi » je me constitue et je m'aliène dans mon propre « pour-soi ». Je veux dire : « je suis pour-moi » je ferme mon horizon de transformation. Celui qui chosifie se chosifie lui-même et ferme ainsi son horizon.



Tant que je n'expérimenterai pas l'autre au-delà du « pour-moi », mon activité vitale n'humanisera pas le monde. Dans mon registre intérieur, l'autre devrait être une chaude sensation de futur ouvert qui ne se termine même pas dans le non-sens chosifiant de la mort.



Sentir l'humain dans l'autre

Sentir l'humain dans l'autre, c'est sentir la vie de l'autre comme un bel arc-en-ciel multicolore, qui s'éloigne à mesure que je veux retenir, attraper, enlever son expression. Tu t'éloignes et je me sens réconforté, si j'ai contribué à briser tes chaînes, à surpasser ta douleur et ta souffrance. Et si tu viens avec moi, c'est parce que, dans un acte libre, tu te constitues en tant qu'être humain, et non seulement parce que tu es né « humain ». Je ressens en toi la liberté1 et la possibilité de te constituer en être humain. Et mes actes trouvent en toi ma cible de liberté. Alors, pas même ta mort n'arrêtera les actions que tu as mises en marche, car tu es par essence, temps et liberté.



Ainsi, j'aime chez l'être humain son humanisation croissante. Dans ces moments de crise et de chosification, dans ces moments de déshumanisation, j'aime sa possibilité de réhabilitation future. (Silo, 2013, p.87)
_________________________________________________________________________________
Références :

1 : Liberté : au sens de liberté de choix, liberté de croyances, liberté d’idées politiques, liberté de spiritualités, etc.  

Silo Parle, Silo, Recueil d'opinions de commentaires et de conférences 1969-1995,
Éditions Références, Paris, 319 p.




Messages les plus consultés de ce blogue

La solidarité humaine et l’évolution sociale

L'évolution du mental et de la vie - mes expériences personnelles

La pandémie retarde-t-elle notre marche vers la libération ? Et si c'était une opportunité historique pour un changement social et humain ?