(photo wikipédia: montre gousset)
Brentano, l'intentionnalité de la conscience "contient quelque chose"
Dans cet article nous allons discuter de l'intentionnalité de la conscience. Au cours des dernières décennies, avec le développement et la propagation sans précédent des technologies de l'information et de la communication, on a vu se multiplier des styles et des modalités de communication proches de formes que l'on jugeait jusqu'à aujourd'hui primitives: les dessins, les émoticônes, les signes et les symboles. C'est comme si nous assistions à une sorte de renouvellement du parcours historique de l'être humain, allant des signes les plus élémentaires aux langages les plus évolués impliquant l'image. Il nous semble que les transformations que le monde vit actuellement touchent de plus en plus nos conceptions du temps, de l'espace et de la matérialité et ses limites. En fait, le monde intangible de l'intentionnalité de la conscience intéresse de plus en plus les chercheurs.
L'intentionnalité
est un concept majeur de la philosophie de l'esprit du XXième
siècle.
Issu de la philosophie médiévale, il
est remis au centre de l'attention des philosophes par Franz Brentano à
la
fin du XIXième
siècle.
Pour lui, l'intentionnalité permet à
l' "acteur" (qui agit sur le monde) d'attribuer un sens aux choses. C'est en fait Brentano qui a
introduit le concept de l'intentionnalité en psychologie. L'intentionnalité est alors caractérisée par l'idée de contenir
quelque chose (pas forcément réel) mais à titre d'objet; elle est
donc « à propos de quelque chose». Pour Brentano,
l'intentionnalité est le critère permettant de distinguer les faits
psychiques des faits physiques. Autrement dit, tout fait psychique
est intentionnel, c'est-à-dire qu'il contient quelque chose à titre
d'objet, bien que ce soit toujours d'une manière différente
(croyance, jugement, perception, conscience, désir, haine, etc.).
Quelques
années plus tard, Edmund Husserl, un des étudiants de Brentano,
élabore une nouvelle approche appelée la phénoménologie, qui va
révolutionner de nombreuses disciplines, dont la philosophie et la
psychologie. Avec Husserl, l'étude de l'intentionnalité devient
plus exhaustive; il met en doute les données du monde extérieur
comme celles du monde intérieur en suivant une réflexion rigoureuse
ouvrant la voie à l'indépendance du penser, qui se trouvait
jusque-là asphyxiée par une forme d'idéalisme absolu. Husserl
lance l'idée que la spatialité de la représentation est une forme
dont les contenus ne peuvent être indépendants. Par exemple, pour le chercheur, l'image correspond à une couleur visuelle et n'est pas
indépendante de l'extension de cette image.
Husserl, la phénoménologie, une science transcendantale dépouillée des préjugés naturalistes
La
phénoménologie de Husserl est d'abord une science transcendantale
qui propose une nouvelle appréhension du monde, dépouillée des
préjugés naturalistes. La phénoménologie prend pour point de
départ l'expérience en tant qu'intuition sensible des phénomènes
et tente d'en extraire les dispositions essentielles. Husserl
poursuit les réflexions des grands philosophes de l'Antiquité sur
l'essence de l'être. Son assistant, Martin
Heidegger, se démarque complètement en interrogeant la permanence
de l'essence de l'être. Selon ce dernier, la vision phénoménologique
d'un monde des êtres humains doit être orientée vers une ontologie
critique face à la métaphysique. L'appréhension de l'être de
Heidegger marqua une rupture définitive avec Husserl. En effet,
contrairement à Husserl, pour Heidegger, l'homme n'est jamais
quelque chose de défini et de terminé. Selon lui, il y a entre
l'homme et les autres étants
(animaux,
plantes, etc.) une essence différente qui ne doit jamais être
oubliée. Pour Heidegger, l'essence de l'homme est présente dans son
existence et elle ne se donne pas abstraitement, mais concrètement
dans un monde fait de choses et d'autres êtres. Elle est donc
fondamentalement être-dans-Ie-monde. Heidegger désigne l'essence
humaine par le terme Dasein,
qui
signifie littéralement existence, mais il le décompose en Da-sein,
qui
signifie «
être-là».
En fait, il veut rendre transparent le caractère de la réalité
humaine, comme être dans les mondes et l'ouverture
au
monde. Pulleda rapporte certaines idées de Heidegger dans son
ouvrage Interprétations
de l 'humanisme, Heidegger et la critique de l 'humanisme
métaphysique, qui
résume bien sa pensée sur l'essence.
L'homme,
«cet
étant que nous sommes toujours », ne se présente pas selon la
manière d'être des choses, celle dl'· la réalité, de
l'objectivité, mais selon celle de l'existence, qui est possibilité,
dépassement continuel de ce qui est donné. Dire que l'homme est
constitutivement pouvoir être, c'est-à-dire que son essence est son
existence, cela veut dire qu'il ne possède pas une essence au sens
traditionnel, une essence donnée et définie comme celles des
choses. (2000, p.155)
C'est
dans ce contexte que se développe l'existentialisme de Jean-Paul
Sartre dans les années 30. Sartre reprend les principes de la
phénoménologie allemande, d'Husserl et d'Heidegger avec notamment
l'essence des phénomènes. Mais Sartre ne tarde pas à s'éloigner
d'Husserl à cause de l'importance fondamentale que celui-ci assigne
aux aspects logiques et gnoséologiques. Pour Sartre, ce qui est
fondamental, c'est l'étude du rapport entre la conscience humaine
réelle, existante, et ce monde des choses. Sartre se rapproche
davantage de Heidegger. Selon lui, l'être humain n'a pas de nature,
il n'a pas une essence fixe et déterminée. L'être humain se
caractérise par l'absence de conditions déterminantes, c'est un
être libre qui s'auto-construit et qui est, ce qu'il fait de
lui-même.
C'est
dans ce contexte que se développe l'existentialisme de Jean-Paul
Sartre dans les années 30. Sartre reprend les principes de la
phénoménologie allemande, d'Husserl et d'Heidegger avec notamment
l'essence des phénomènes. Pour Sartre, ce qui est fondamental,
c'est l'étude du rapport entre la conscience humaine réelle,
existante, et ce monde des choses. Sartre se rapproche davantage de
Heidegger. Selon lui, l'être humain n'a pas de nature, il n'a pas
une essence fixe et déterminée. L'être humain se caractérise par
l'absence de conditions déterminantes, c'est un être libre qui
s'auto-construit et qui est, ce qu'il fait de lui-même.
Sartre, la conscience se "transcende" elle-même
Par
contre, Sartre rejette toute forme de cheminement contrairement à
Heidegger
qui considère
que l'homme est dans un cheminement progressif qui vise à
la
prise de conscience et à
la
réalisation de l'être. La métaphysique d'Heidegger s'est
constituée du logos
des
philosophes antiques. Heidegger dit en effet que Sartre « formule
ainsi le principe de l'existentialisme: l'existence précède
l'essence. Il prend ici existentia
et
essentia
au
sens de la métaphysique qui dit, depuis Platon, que l'essentia
précède
l'existentia.
Sartre
renverse cette proposition. Mais le
renversement
d'une proposition métaphysique reste une proposition métaphysique.
{
... } L'existentialisme sartrien n'a donc rien à
voir
avec la philosophie d'Heidegger.
Heidegger
renversera la phrase de Sartre -« nous sommes précisément dans un
plan où il n'y a que des hommes» -qui est à
la
base de l'existentialisme du philosophe français, et il dira: «
nous sommes sur un plan où il n'y a que l'Être ». (Pulleda, 2000,
p. 171)
Pour
Sartre la conscience se transcende elle-même, elle se dépasse
continuellement dans les choses. Dans
Esquisse
d'une théorie des émotions, écrit
en 1938, il explique que tous les faits psychiques étudiés ne sont
jamais les premiers, mais qu'ils sont plutôt des réactions de
l'être humain sur
et
contre
le
monde. Pour lui, il faut plutôt observer le travail de la
conscience, car il considère que la conscience se fait elle-même,
qu'elle est une structure intentionnelle.
L'existence
de la conscience est un
absolu
parce que la conscience est consciente d'elle-même. C'est-à-dire
que le type de la conscience, c'est d'être conscience de soi. Et
prend conscience d'elle-même. Et elle prend conscience de soi en
tant qu'elle est conscience d'un objet transcendant. En dehors des
cas de conscience réfléchis, cette conscience de conscience n'est
pas positionnelle, c'est-à-dire que la conscience n'est pas à
elle-même son objet, (Sartre, 1976, p.23)
Dans
l'ouvrage L'être
et le néant, Sartre
précise et explique que la conscience n'est pas elle-même
son objet, mais qu'il s'agit d'un absolu d'existence et non d'un
absolu de la connaissance. Tandis
que pour Merleau-Ponty -un phénoménologue français -
l'intentionnalité est perceptif, c'est-à-dire que l'auteur ne lui
reconnaît pas de nature transcendantale. En effet, ce qu'on trouve
chez Husserl comme l'ébauche d'une phénoménologie du corps propre
ne prétend pas à
une
«philosophie du corps» comme chez Ponty, mais se veut une méthode
explicitement fictionnelle qui part d'une réduction abstraite aux
conditions minimales indispensables (les kinesthèses), c'est-à-dire
de la possibilité pour un sujet de donner sens à
l'expérience
du corps.
Merleau-Ponty, "toute conscience est conscience perceptive"
Or,
c'est sur cette base que Husserl procède à
la
constitution progressive en tant que pris dans sa relation
interactive avec le monde habité par le sujet qui s'y incarne. Par
ailleurs, Merleau-Ponty, voulant sauvegarder le noyau vivant de la
phénoménologie de Husserl, l'en a débarrassée de sa théorie
constitutive transcendantale, puisqu'il y dénonçait la métaphysique
de Husserl. Ce noyau étant pour lui la philosophie de l'incarnation
de l'esprit dans le corps. D'autre part, pour Ponty toute la
phénoménologie de l'expérience humaine devait pouvoir être
ressaisie sur la seule base de notre être incarné en donnant congé
au sujet transcendantal.
Ainsi,
l'auteur développe une nouvelle approche de la conscience en
supposant que «toute conscience est conscience perceptive ». Ce
faisant, il instaure un tournant significatif dans le développement
de la phénoménologie, indiquant que les conceptualisations doivent
être réexaminées à partir du primat de la perception. Ainsi, la
question du sens ne peut pas être ramenée à
un
caractère idéalisme. Selon Ponty il existe une matérialité
inhérente au sens tel qu'il l'explique dans son ouvrage sur la
phénoménologie de la perception.
Dans
Phénoménologie
de la perception il
note qu'« une oeuvre peinte, si elle est déchirée, n'est plus
sens, elle est ramenée à
son
état de lambeaux» (1945, p.20).
Par
ailleurs, le problème qui se pose à Ponty est bien celui des représentations immatériales et intangibles - qui mobilisent les sens (sens internes et externes), l'imaginaire, le corps et l'action du corps dans l'espace interne (l'espace de représentation).
L'expérience virtuelle et dépasser ses propres perceptions
Nous supposons que l'expérience virtuelle implique une immatérialité inhérente liée aux perceptions des sens (internes et externes) et à l'intentionnalité de la conscience. Autrement dit, si l'utilisateur peut interagir et socialiser avec des objets virtuels, telles que des représentations graphiques et textuelles, c'est parce qu'il leurs a donné sens. Dès lors, le sens transcende la matérialité du phénomène perçu. En effet, l'utilisateur se trouve devant un système technique et «matériel», mais pour lui ce système est l'outil, une forme de prothèse qui l'aide à transcender la perception vers un ailleurs, c'est-à-dire dépasser le niveau du 'sens' matériel. Autrement dit, c'est par les différents mécanismes et opérations de la conscience que l'utilisateur peut dépasser, donner un autre sens à ses propres perceptions et interagir avec des objets virtuels qui sont imagés et évoqués par les mécanismes de la conscience.Silo, la conscience transcende le monde naturel, l'intentionnalité est toujours lancée vers le futur
Silo
reprend le concept de l'intentionnalité de ses prédécesseurs,
tout en se rapprochant davantage de la définition première de
Brentano,
c'est-à-dire
de l'idée que l'intentionnalité «contient quelque chose». Pour
l'auteur, l'intentionnalité permet de maintenir l'intégrité
structurelle de la conscience en liant des actes de conscience à des
objets de conscience. Entre autre, ce lien acte-objet
n'est
pas permanent, et c'est ce qui permet justement une certaine
dynamique de la conscience et l'existence d'actes à la recherche
d'objets.
Silo explique dans l'ouvrage, Contribution à la pensée, que la conscience humaine transcende le monde naturel, c'est un
phénomène radicalement différent de la nature. La conscience est
activité intentionnelle, une activité incessante d'interprétation
et de reconstruction du monde, elle est fondamentalement pouvoir
être, autrement
dit le dépassement de ce que le présent nous donne comme « fait ».
Comme le disait Husserl, «toute conscience est consciente de
quelque
chose ». En fait, Silo ajoute un nouvel éclairage à l'intentionnalité de la conscience. La
conscience est consciente de
quelque
chose et est active sur
ce
quelque chose dans le monde grâce à l'intentionnalité de la conscience.
L'intentionnalité est toujours lancée vers le futur, selon l'auteur c'est ce qui se registre comme une tension de recherche, mais est aussi lancée vers le passé dans le cas de l'évocation. Pour Silo les temps de conscience s'entrecroisent dans le moment présent. La conscience est lancée vers le futur et se souvient, mais au moment de la mise en oeuvre elle travaiIle au présent.
L'intentionnalité est toujours lancée vers le futur, selon l'auteur c'est ce qui se registre comme une tension de recherche, mais est aussi lancée vers le passé dans le cas de l'évocation. Pour Silo les temps de conscience s'entrecroisent dans le moment présent. La conscience est lancée vers le futur et se souvient, mais au moment de la mise en oeuvre elle travaiIle au présent.
(Image Wikipédia Cronos, dieu du temps de la mythologie grecque par Iganz Gunther Munic)
L'image porteuse d'une charge
Dans ces travaux, Silo reprend certaines idées développées par Husserl sur l'image, et considère la spatialité de la représentation comme une structure dont les contenus ne peuvent être indépendants. Ainsi c'est à partir de ces constats que l'auteur développe la théorie de l'espace de représentation. En effet, il souligne que tout objet perçu possède une couleur et une étendue et que ces deux catégories, inséparables, forment une structure.Mais j'ai découvert quelques impossibilités. Par exemple, je ne peux pas imaginer ces objets sans coloration, au-delà de la « transparence », puisque celle-ci marquera précisément des contours ou des différences de couleur ou peut-être des « nuances» différentes. Il est évident que je suis en train de constater que l'extension et la couleur ne sont pas des contenus indépendants et, c'est pourquoi je ne peux pas non plus imaginer une couleur sans extension. C'est précisément ce qui me fait réfléchir: si je ne peux pas représenter la couleur sans extension, l'extension de la représentation indique alors également la « spatialité» dans laquelle s'emplace l'objet représenté. C'est cette spatialité qui nous intéresse. (1995, p. 8)
Silo
suggère une conception de l'image complètement innovatrice. Il
explique l'idée que l'image est, pour la conscience, une façon
active d'être dans le monde. Il
définit l'image comme « une représentation structurée et
formalisée des sensations ou des perceptions qui proviennent [du] ou
précèdent le milieu extérieur ou intérieur».
Ainsi pour l'auteur, l'image n'est plus seulement la résultante des stimuli reçus par les sens externes et internes, mais sa constitution fait appel à la mémoire et à l'appareil de registres du psychisme. L'auteur explique que l'image possède plusieurs fonctions, dont l'une est de rapprocher ou d'éloigner la structure psychophysique des stimulations qui arrivent, selon leur nature douloureuse ou agréable. Finalement, nous constatons que peu de chercheurs se sont penchés sur les thèmes l'intentionnalité de la conscience et de « l'image ». Pour conclure, nous constatons que Silo oriente davantage ses travaux vers des thèmes qui se rapprochent à une psychologie et physiologie phénoménologique plutôt qu'à la philosophie phénoménologique.
Dans les prochains articles nous allons traiter de la pédagogie de l'intentionnalité, du registre, de l'image et de l'espace de représentation.
Ainsi pour l'auteur, l'image n'est plus seulement la résultante des stimuli reçus par les sens externes et internes, mais sa constitution fait appel à la mémoire et à l'appareil de registres du psychisme. L'auteur explique que l'image possède plusieurs fonctions, dont l'une est de rapprocher ou d'éloigner la structure psychophysique des stimulations qui arrivent, selon leur nature douloureuse ou agréable. Finalement, nous constatons que peu de chercheurs se sont penchés sur les thèmes l'intentionnalité de la conscience et de « l'image ». Pour conclure, nous constatons que Silo oriente davantage ses travaux vers des thèmes qui se rapprochent à une psychologie et physiologie phénoménologique plutôt qu'à la philosophie phénoménologique.
Dans les prochains articles nous allons traiter de la pédagogie de l'intentionnalité, du registre, de l'image et de l'espace de représentation.
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Crédits images:
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Références:
Anne Farrell, "Étude du registre d'immersion et de l'État de présence interne chez les jeunes entre 11 et 15 ans qui socialisent dans les espaces de clavardage et de jeu", QUébec, UQAM, 2008.
Silo, "Notes de psychologie", éditions références, Paris, 2012.
Dans cet ouvrage l'auteur introduit les thèmes de l'espace de représentation, l'intentionnalité de la conscience, l'image et la charge de l'image.
Vous pouvez commander l'ouvrage disponible sur le site
www.educationnonviolence.ca